Look Back, de Kiyotaka Oshiyama

par Joan Lainé,
Voulez-vous définitivement définir votre édition comme Français ? oui

En 2021, le manga Look Back a créé l'événement. Publié d'un seul coup sur la plateforme Shônen Jump+, ce one-shot a fait un immense bruit médiatique. On le doit à Tatsuki Fujimoto, auteur déjà acclamé avec Fire Punch et Chainsaw Man. En France, le manga a été édité aux éditions Kazé Manga, peu avant qu'elles deviennent Crunchyroll. Forcément, avec un tel retentissement, le manga devait avoir son adaptation animée. Et c'est chose faite avec un film d'animation sorti en juin 2024 dans les cinémas japonais. Du côté de la France, après une projection au Festival d'Annecy, il a connu une sortie au cinéma exceptionnelle le week-end des 21 et 22 septembre grâce au distributeur Eurozoom. Suite à cela, le film arrive le 7 novembre sur Amazon Prime Video.

Le film d'animation Look Back dure à peine une heure. Il est réalisé par Kiyotaka Oshiyama au sein du Studio Durian qu'il a lui-même co-fondé, ce qui en fait une production indépendante. Le réalisateur occupe justement plusieurs postes, de la direction de l'animation à l'adaptation pour l'animation du design des personnages. Il est accompagné par une poignée d'animateurs très talentueux pour produire ce film en comité réduit, et particulièrement Toshiyuki Inoue. Du côté de la direction artistique, on retrouve Kiyoshi Sameshima. Et enfin, concernant la musique, la bande-son du film d'animation est composée par haruka nakamura.

Look Back nous emmène à la rencontre de Fujino, une jeune fille pleine d'assurance, convaincue de son talent. Elle crée des yonkoma (des mangas en quatre cases) pour le journal de son école, et ses dessins font rire ses camarades qui les adorent. Son travail est largement apprécié et elle se sent sur un petit nuage.
Cependant, tout bascule lorsqu'une nouvelle dessinatrice fait son apparition dans le journal de l'école : Kyômoto, une fille mystérieuse. Bien que ses dessins, principalement des paysages, manquent d'humour et d'inventivité, Kyômoto fascine immédiatement son public grâce à la qualité de son trait. Il devient vite évident qu'elle maîtrise le dessin bien mieux que Fujino, ce qui touche profondément l'ego de cette dernière. Pour rattraper Kyômoto, qui vit recluse chez elle et ne se rend même pas à l'école, Fujino décide de se consacrer sérieusement à l'apprentissage du dessin. Elle passe ses journées à dessiner sans relâche. Puis, un jour, après s'être un peu éloignée de son travail, son professeur lui donne une mission : aller rendre visite à Kyômoto afin de lui remettre son diplôme. Lors de cette rencontre, Fujino découvre, à sa grande surprise, que Kyômoto, la rivale qui avait blessé son ego, est en réalité une grande fan de ses yonkoma. Ce moment marque un tournant dans leur relation, et les deux filles, désormais plus proches, commencent alors à créer des mangas ensemble.

Look Back est à l'origine une œuvre profondément personnelle qui se distingue à la fois par son exploration du processus créatif et par son traitement visuel unique. Le film parvient à transposer avec brio l'essence du manga tout en offrant une approche audacieuse et intime de la création artistique. Derrière Look Back se trouve un récit où le mangaka semble scinder sa propre personnalité en deux à travers les personnages de Fujino et Kyômoto, qui incarnent respectivement l'arrogance et l'introspection du créateur. Ces personnages sont des reflets de l'auteur lui-même, leurs interactions représentant des facettes d'un dialogue intérieur sur la création, l'égo et l'évolution personnelle. En prenant pour base un événement tragique réel – à savoir l'incendie criminel du studio Kyoto Animation en 2019 – il insuffle une dimension supplémentaire à son récit, faisant du film un hommage discret à ceux qui ont perdu leur vie dans cette catastrophe tout en explorant les lourds fardeaux émotionnels portés par les artistes.

En tant que réalisateur, Kiyotaka Oshiyama réussit à faire ressortir cette dimension personnelle propre au manga avec une certaine simplicité. Son film, réalisé en un an avec une petite équipe, utilise un style d'animation marqué par une approche volontairement épurée du genga (les dessins préparatoires), dont près de la moitié sont l'œuvre du réalisateur en personne. Cette technique, qui peut sembler inachevée à première vue, apporte pourtant une dimension humaine au film, un côté authentique qui soutient parfaitement le propos de Look Back. Cette esthétique volontairement imparfaite reflète l'idéalisme du dessin en tant qu'acte de création, tout en mettant en lumière la réalité du travail artistique et de ses sacrifices.

L'un des thèmes centraux du film est justement la quête de sens dans la pratique du dessin. À travers le personnage de Fujino, l'autosatisfaction et l'orgueil du créateur sont mis en lumière, tandis que Kyômoto, plus introvertie et réservée, incarne une forme d'expression à travers l'art. La question qui traverse le film est simple mais fondamentale : Pourquoi dessiner ? Autrement dit, s'investir autant dans une passion qui isole et exclut du monde extérieur ? Ces réflexions sont rendues avec une grande subtilité à travers des scènes qui montrent sans filtre les efforts et la souffrance associés à l'art de dessiner, tout en offrant des instants d'introspection poignants, notamment dans la scène iconique où le personnage dessine de dos, symbolisant l'effort constant de l'artiste.

Ce film est une exploration à la fois visuelle et émotionnelle, mais il n'oublie pas d'être un divertissement avant tout. Look Back parvient à toucher son public non seulement par la richesse de son discours sur la création, mais aussi par la sincérité de ses personnages et la force de leur amitié. Le lien entre Fujino et Kyômoto se construit peu à peu à travers leurs différences et leurs aspirations, créant une dynamique poignante entre les deux jeunes filles. Le film réussit ainsi à faire passer son message tout en offrant une expérience émotionnelle forte. Les spectateurs se retrouvent à rire et à pleurer avec les protagonistes, témoignant de la puissance de leur relation.

Visuellement, Look Back est irréprochable avec un style brut qui s'avère parfaitement adapté à son sujet. Le choix de l'animation numérique, le recours à des genga volontairement simplifiés et l'accent mis sur les émotions sincères renforcent l'aspect introspectif et personnel de l'œuvre. Look Back est un film d'animation qui marie à la perfection la réflexion sur la création artistique et la force émotionnelle d'une histoire d'amitié. Intime, sensible et profondément humain, il s'impose comme une œuvre majeure dans le paysage de l'animation japonaise contemporaine. En fin de compte, c'est un film qui reste gravé dans la mémoire, non seulement pour son message sur le manga, mais aussi pour sa manière de toucher l'âme du spectateur.


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