[Annecy 2024] Le film Look Back, de Kiyotaka Oshiyama

par Matthieu Pinon,
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Dans chaque numéro du magazine de son école primaire, les mangas d'Ayumu Fujino régalent ses camarades. Mais rapidement, la prétentieuse élève découvre une concurrente de taille, Kyomoto, bien plus douée sur le plan graphique. Malgré ses efforts pour la rattraper, elle reste toujours derrière. Tout bascule à la fin du collège : Fujino est chargée d'apporter son diplôme à Kyomoto, agoraphobe qui ne quitte jamais sa chambre. La rencontre imprévue entre les deux adolescentes les mène à collaborer et à entrer dans l'univers professionnel du manga, mais uniquement au bénéfice de Fujino, qui est la seule créditée pour leurs œuvres. Leur belle aventure tourne court quand Kyomoto exprime le désir de tout arrêter pour s'inscrire en école d'art. Une décision lourde de conséquences sur son destin, et celui de Fujino…

La création d'un manga s'apparente à celle d'une série TV : chaque semaine, le public découvre un nouvel épisode dans son magazine préféré, et peut acheter une « saison » à la sortie en volume relié. Tatsuki Fujimoto connaît bien le principe avec Fire Punch et Chainsaw Man. Quand il publie Look Back le 19 juillet 2021 sur le site Shônen Jump +, il s'affranchit de cette dimension pour livrer l'équivalent d'un long métrage. L'intrigue tient en effet sur 143 pages, livrées d'un bloc, et dévorées par 2,5 millions de lecteurs le jour même de sa sortie. Quitte à rejeter cette convention, Fujimoto en profite pour explorer ce que le manga représente pour lui, et exprime ses sentiments contradictoires, entre amour et haine, pour ce média. Sur le fond comme sur la forme, en explorant tous les codes narratifs à portée de son crayon.

En toute logique, ce one-shot se retrouve donc adapté en long métrage. Un film d'une brièveté sèche (61 minutes) qui compacte encore plus les sensations vécues à la lecture. Kiyotaka Oshiyama, petit génie de l'animation adoubé par Masaaki Yuasa (qui lui a confié le design des monstres sur DEVILMAN crybaby) ou le patron de Bones Masahiko Minami, relève le défi de transposer sur écran cette ode à la bande dessinée nippone. Pari doublement réussi, puisqu'il parvient à conserver l'essence même de Look Back sans sacrifier ses ambitions personnelles de réalisateur.

Certaines séquences du film sont ainsi directement tirées du manga, comme si ce dernier avait servi de story-board. Dans un cadre fixe, les scènes s'enchaînent comme les cases de Fujimoto, rappelant à quel point la cinéphilie de ce dernier impacte sur sa mise en page. On ne peut qu'être impressionné par le travail de Kiyoshi Horise (INU-OH, Mob Psycho 100, Dandadan) sur le montage qui donne un rythme impeccable à cette succession de plans. La mise en scène s'accorde également aux méthodes graphiques de Fujimoto, en respectant les raccords dans l'axe ou les effets de zoom/dézoom.

Mais Oshiyama ne se limite pas à ces techniques, et déploie tout l'éventail d'expression d'un metteur en scène. On retiendra ainsi cette séquence techniquement impressionnante de Fujino en pleine course, s'ouvrant sur un plan zénithal qui bascule en travelling arrière pour finir sur un panoramique. Ou encore la délicatesse d'un flou (out of focus) sur la chevelure de Fujino quand elle apprend la tragédie ayant frappé son ancienne amie. Ou encore la subtile exploitation du split-screen, tel un patchwork de cases du manga. Cette volonté de respecter l'œuvre papier sans oublier qu'il crée une œuvre de cinéma, Oshiyama l'annonce dès l'ouverture du film, en transposant les dessins malhabiles d'une Fujino novice d'à peine dix ans dans un court métrage aux couleurs vives qu'on croirait réalisé par un débutant.

Le reste du film contraste énormément avec ce vrai-faux « film amateur » tant la gestuelle des personnages est travaillée. En quelques plans, sans avoir besoin de parler, l'orgueil de Fujino et la timidité de Kyomoto sautent aux yeux des spectateurs. L'animation trouve d'ailleurs son zénith quand les deux jeunes femmes sont en harmonie, courant main dans la main – des séquences particulièrement marquantes pour leur travail sur la lumière et la couleur.

Look Back se distingue, enfin, par un dernier élément propre au cinéma : le son. Ou, plutôt, l'absence de son. Si on retiendra la partition élégiaque de haruka nakamura, qui évoque par moments les envolées symphoniques de Yoko Kanno, c'est une longue séquence à la fin du film qui restera gravée dans la mémoire. Sans une note, sans un mot, sans un bruit, elle a saisi à la gorge tous les spectateurs du festival d'Annecy, où le film était présenté en avant-première. Juste avant cette première projection, Kiyotaka Oshiyama s'excusait auprès du public de montrer une version non définitive, le film étant encore en production. Malgré l'absence de petits détails, Look Back s'est imposé sans peine comme une réussite auprès de l'audience exigeante du plus grand festival d'animation au monde. Le résultat finalisé devrait donc conquérir sans peine le plus grand monde.

Note générale : 4,5
Histoire : 4,5
Animation : 3,5
Musique : 4


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